Déneigement du Col du Grand-Saint-Bernard

Perché sur la crête sommitale des Alpes valaisannes, à deux pas du Mont-Blanc, le Grand-Saint-Bernard est l’un des plus haut cols des Alpes, avec ses 2473 m d’altitude.

Autant dire que l’hiver y est sans fin et l’été très court, vu les conditions polaires! Certaines années, la neige bloque la route durant 9 mois, coupant l’hospice du monde. Les chanoines de la congrégation du Saint-Bernard sont alors seuls à rester sur le col, pour y accueillir skieurs et pèlerins.

J’y suis monté souvent à l’époque où mon cousin Bernard Cretton était prieur de l’hospice. On faisait de belles randonnées à ski, avec lui ou avec ce bon vieux chanoine Berthousoz, toujours jovial et souriant, qui trichait aux cartes et qui dissimulait dans son bâton de ski une petite réserve d’eau bénite cristalline, qui se révélait être de l’excellente Williamine, une fois parvenus au sommet! Il était parfois si empressé de partir en vadrouille à ski qu’il lui arrivait de célébrer la messe en 7 minutes 32 dans la crypte, en baragouinant indistinctement avec un débit plus rapide que la 5G!
Lorsque mon cousin Bernard revenait voir la famille à Martigny-Bourg au printemps, après être resté coupé du monde neuf mois dans ce monde blanc, il redescendait à pied le Val d’Entremont et la vallée des Dranses, juste pour le plaisir de rencontrer des êtres humains et de voir le vert du gazon et de végétation verdoyante!

Quand je monte au col, c’est toujours un véritable plaisir! A chaque fois, les souvenirs affluent et je ne je peux m’empêcher de penser à ces bons moments passés là-haut, blotti contre le gros bagnard en pierre ollaire. Et aussi à mes lointains ancêtres sarrasins, les légendaires Maures du Valais (Moret = “Maure”) qui, de ce nid d’aigle du Grand-Saint-Bernard, contrôlèrent le Valais aux 9e et 10e siècle, entre 921 et 1050, n’hésitant pas à attaquer les pèlerins et à porter partout le fer, le feu et le sang, s’en prenant même à de grands personnages comme le fameux saint Mayeul, abbé de Cluny, qu’ils capturèrent le 22 juillet 972 au pont d’Orsieres et qu’ils ne relâchèrent que trois semaines plus tard en échange d’une formidable rançon de 1000 livres d’argent, après l’avoir détenu dans la caverne de la Crête de Saint Mayeul, au-dessus de Commeire, dont je possède la clef!

Mais il faut bien connaître la montagne pour se hasarder en hiver à remonter la sinistre Combe des Morts, réputées pour ses terribles avalanches qui dévalent en grondant du Mont Mort et du versant opposé. Au fil des siècles, on ne compte plus les victimes surprises et ensevelies par la Mort Blanche, ou mortes gelées après s’être égarées dans le brouillard ou avoir erré dans le blizzard. Parfois, les fameux chiens du saint-Bernard ne retrouvaient leur corps qu’à l’été, une fois la neige fondue. Leurs cadavres momifiés et desséchés par le froid étaient déposés gelés dans la petite morgue, entassés debout contre les murs.
Car le Grand-Saint-Bernard est battu en hiver par des vents tempétueux d’une rare violence. En février 1989, on y a enregistré un vent à 298 km/h! De quoi renverser même les montagnes! Les bourrasques et les tourmentes y sont terribles et il y règne souvent des températures polaires.

Autant dire qu’il y neige souvent et en très grosse quantité. Même en juillet et août, la neige peut survenir à n’importe quel moment et bloquer ceux qui sont piégés sur le col! À la station météorologique de l’hospice, on a mesuré jusqu’à 23 m de chute de neige cumulée en un seul hiver! Soit l’équivalent de la hauteur d’un immeuble de 7 étages! Je me souviens qu’à certaines périodes, on rentrait dans l’hospice par les fenêtres du premier étage, ou par un tunnel qui s’enfonçait dans le manteau neigeux pour atteindre l’entrée arrière du bâtiment.

En règle générale, le col est ouvert pour la fête de la saint-Bernard, le 15 juin, et ferme en octobre dès les premières chutes de neige.
Dans ce désert blanc, hostile et glacé, l’ouverture de la route nécessite de très gros moyens et d’énormes efforts prolongés sur plusieurs mois. Un véritable défi et un travail de fourmis réalisé chaque année, qui fait honneur aux hommes qui l’accomplissent, comme en témoignent ces superbes images tournées au printemps 2017 par Boris Bron de Swiss-Fly :