La Tour des Follonier à La Tour

Il n’y a pas qu’à la Nouvelle York, dans la grosse pomme des Ricains, qu’il existe des gratte-ciels qui chatouillent le gros orteil velu de Dieu-le-Père, lorsque celui-ci dépasse négligemment du nuage!
Nous autres en Valais, on en a aussi ! Ils sont un petit peu moins haut certes, mais bien plus anciens que ceux des chiqueurs de chevingue-gomme d’outre grand’gouille ! Plus beaux et plus confortables à habiter aussi, car les nôtres ne sont pas en vulgaire béton armé de ferraille, mais en beau bois de mélèze rouge et imputrescible, bruni par la patine des siècles et le soleil du Valais!
Le plus impressionnant gratte-ciel traditionnel du Valais se trouve en-haut à Evolènaz, qu’un sombre tocson de gratte-papey du canton a décidé, par un trait de plume administratif au 19e siècle, de transformer en Evolène, pour faire plus français et moins tabourgnou. La même mésaventure orthographique est arrivée à Isérables, chez les Bedjuis, qu’on écrivait jadis Isérabloz dans notre belle langue francoprovençale.

Notre gratte-ciel évolénard se trouve plus précisément à Chicago!
Vous ne connaissez pas Chicago en Valais!? Normal, car le nom ne figure pas sur la carte. C’est le surnom donné par les Evolénards au petit village de La Tour, à mi-distance entre Evolène et Les Haudères. Ce hameau, qui existait déjà avant le 15e siècle, doit d’ailleurs son nom à la présence de cette grande « tour » de bois dressée face aux Dents de Veisivi.

Elle comporte cinq étages de bois sur caves, plus des combles sous le faîte, avec une cage d’escalier faisant saillie à l’un des angles. Les façades est et ouest comportent, à chaque étage, des galeries de bois traversantes qui servaient jadis de séchoirs, comme souvent dans le Val d’Hérens. Le toit est couvert en solides dalles d’Evolènaz. Les parois sont faites de madriers croisés aux angles et encochés à mi-bois, selon la bonne vieille technique valaisanne héritée de nos ancêtres celtes de l’âge du Fer, Sédunes ou Véragres. Elle remonte même à l’âge du Bronze. Des fouilles archéologiques faites à Oberstalden, sur la commune de Visperterminen, auxquelles j’ai participé, ont en effet démontré que cette technique de construction était déjà utilisée en Valais il y a environ 3000 ans. Nous y avons mis au jour des restes d’une construction en bois dont la base était constituée de madriers encochés à mi-bois aux angles, avec de gros blocs disposés au sol sous les angles pour assurer la stabilité. Un grand moment de ma carrière!

A La Tour d’Evolènaz, une seconde tour se dresse à proximité de la première, mais elle ne comporte que quatre étages.

Ces « tours » sont la résultante des siècles car les familles vivaient jadis entassées dans la même maison. A chaque génération, lorsque la famille s’agrandissait et qu’il fallait fournir un logis aux enfants qui se mariaient et fondaient un nouveau foyer, le chef de famille démontait le toit de la maison et agrandissait l’édifice en hauteur, en ajoutant un étage supplémentaire. C’est ainsi que sont apparues, au fil des générations et des siècles, ces « tours » caractéristiques que l’on rencontre notamment dans le Val d’Hérens et le Val d’Anniviers, mais aussi ailleurs en Valais.
Cette solution était ingénieuse, car elle évitait d’empiéter sur les précieux terrains agricoles avoisinants et de grignoter petit à petit les terrains productifs, vitaux pour la survie de la famille et de la communauté villageoise. Elle permettait aussi de payer moins de taxes, les bâtiments étant imposés sur la base de l’emprise au sol.

Comme quoi nos Anciens en avaient dans la soupière et réfléchissaient intelligemment avant d’entreprendre quoi que ce fut! Honneur à eux qui ont fait de notre beau canton ce qu’il est devenu, malgré des conditions de vie qui tenaient souvent de la survie et du combat quotidien !

Celle de La Tour n’est toutefois pas si ancienne et fait exception à la règle puisqu’elle date des années 1950. Les Evolénards l’appellent « la tour des Follonier » parce qu’elle est habitée par la famille Follonier. Mais faudra encore bien des mariages et des générations prolifiques avant qu’elle ne dépasser les Dents de Veisivi et qu’elle se mette à pencher sous l’effet du foehn, comme celle de ces brakaillons de Pisans !